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A propos des Livres Blancs

La parution du document américain de politique de défense est très intéressante : les Américains ont en effet l'habitude des "Defense review" qui interviennent tous les quatre ans (au nombre de quatre revues : quadriennal, nuclear, ballistic missile, space). Mais dans le cas présent, (analysé brillamment par Jérôme Pellistrandi), nous avons un texte très court de huit pages.

source

Je me suis alors posé la question : à quoi correspond notre Livre Blanc ? Et du coup, une petite recherche m'a amené à ceci.

1/ La notion de "Livre blanc" serait apparue dans les années 1920, et viendrait des Anglo-Saxons. Intéressons nous à ce qu'on fait les Britanniques :

  • en matière de géopolitique, le premier LB Britannique semble être celui de 1939 consacré à la Palestine, écrit par Malcom Mc Donald à la suite du rapport Peel de 1937.
  • en matière de défense, le premier semble être le "Defence White Paper" de 1957, (d'ailleurs cité par Gallois dans son livre sur les stratégies nucléaires). Il sera suivi de celui de 1966. Après, je ne sais plus, car j'ai l'impression qu'on est passé rapidement, en Angleterre, aux Strategic Defence Review : celle de 1997 (actualisée en 2003 par un LB) et celle de 2010 (intitulée : Strategic Defence and Security Review).

2/ En France, il y a eu de nombreuses lois d'organisation des armées voire de la défense. Mais si l'invention d'un ministère de la Défense date de la IV° République, il faut attendre la V° pour connaître une organisation rénovée.

  • tout d'abord avec la constitution de 1958 (rôle du président, du premier ministre, domaine de la loi, état de siège, déclaration de guerre, ...)
  • ensuite et surtout avec l'ordonnance de 1959
  • avec les différentes lois de programmation, qui mettent en œuvre la politique de défense, ou des textes importants comme le statut général des militaires (de 1972 puis de 2005)
  • enfin avec le décret de 1964 confiant la décision du feu nucléaire au PR.
  • on accédera à ces textes en se reportant à la page défense de la Digithèque de matériaux juridiques et politiques

3/ Le premier LBDN est celui de 1972, principalement écrit par Michel Debré, alors ministre de la défense. Composé de deux tomes, le premier (le plus intéressant, où l'essentiel est dit, 68 pages) est consacré aux principes, le second (qui paraît d'ailleurs en 1973, 105 pages) à l'organisation :

  • Tome I.
    • Chapitre premier. La politique de défense de la France.
    • Chapitre II. Les capacités demandées aux forces armées.
    • Chapitre III. Le service militaire universel.
    • Chapitre IV. La politique d'armement.
    • Chapitre V. Les finances de la défense.
  • Tome II.
    • Chapitre premier. L'organisation permanente des forces armées et du commandement.
    • Chapitre II. L'administration de la défense.
    • Chapitre III. La fonction militaire.
    • Chapitre IV. L'enseignement militaire.
    • Chapitre V. La médecine militaire.
    • Chapitre VI. La politique domaniale et immobilière de la défense.
    • Chapitre VII. La recherche scientifique et technique militaire.

On lira sur le blog "le conflit" une analyse du LB 72.

4/ Le second LBDN date de 1994, à la suite de la chute du mur de Berlin et de la mise en place d'un nouvel ordre en Europe. Il compte 178 pages.

  • Une première partie (trois chapitres) décrit le contexte stratégique
  • Une deuxième (2 chapitres) traite de la stratégie et des capacités
  • Une troisième (3 chapitres) évoque les ressources
  • Une quatrième (1 chap) décrit les relations entre défense et société.

5/ Le Troisième LB de 2008 devient un LB de défense et sécurité nationale. Il est bien connu (avec un premier tome de 350 pages, et un deuxième reportant toutes les auditions de la commission du LB).

  • On lira avec intérêt André Thieblemont qui s'interroge sur la confusion qu'il y a dans ces différents textes : est-ce un "exposé sur la défense" (mots de Michel Debré en avant-propos du LB 72) ? est-ce une "stratégie"? est-ce une politique générale de défense ?

6/ A noter que dans le domaine de la "sécurité nationale", il y a eu :

  • un LB de la sécurité intérieure face au terrorisme, publié en 2006, et dirigé par le SGDN
  • un LB sur la politique étrangère et européenne, de 2008, codirigé par Alain Juppé et Louis Schweitzer qui mentionne le LBDSN dès l'introduction (p 7) puis dans le texte (p 49, 50, 66, 74, 108, 110)
  • un LB sur la sécurité publique, publié en octobre 2011 et rédigé par Alain Bauer et M Gaudin. Il ne mentionne le LBDSN qu'en note de bas de page, à la page 119, puis p 129, dans les deux cas à propos du "renseignement intérieur". On notera deux ou trois occurrences des "zones de défense".

Ainsi, s'il y a eu une certaine articulation entre LBDSN et LB PEE, le récent LBSP ne le fait pas autant. Or, la plupart des lecteurs avait compris que la sécurité nationale c'était défense (à l'ext + sécu du territoire) et sécurité intérieure. Certes, il s'agit de "sécurité publique" et non de "sécurité intérieure", ce qui explique peut-être cela.

7/ Revenons à notre question initiale. Au fond : à quoi sert un Livre Blanc ?

  • à décrire un environnement géopolitique ? (le LB de 1972 ne mentionnait même pas les Soviétiques)
  • à décrire une stratégie ? (le LB de 1994 maintient la conscription, alors que les appelés n'ont pas été engagés lors de la guerre du golfe et que la conscription est "suspendue" deux ans plus tard)
  • à décrire l'organisation générale de la défense ? (mais il y a nombre de lois et décrets dont c'est la fonction) ? et faut-il se centrer uniquement sur les armées, ou évoquer aussi le périmètre du ministère de la défense, voire de la mission défense (au sens LOLF) ?
  • à décrire les moyens et ressources ?

En fait, on a le sentiment qu'il s'agit aujourd'hui de quelque chose qui ressemble plus à une quadriennal defence review qu'à une déclaration de principes stratégiques.

8/ Alors, on a le sentiment qu'il y a besoin de deux types de documents :

  • une déclaration de principes, brève stratégique. Entre les 10 pages du document américain et les 68 pages du LB 72. Qq chose de 30 pages (regardez le bouquin d'Hessel : une part de son succès de librairie tient à ce qu'il est ultra court). Il y aurait ainsi deux parties : l'exposé des grands constats géopolitiques, suivi des principes de défense et de politique étrangère.
  • On renverrait la définition des formats, ressources et moyens à l'exercice qui y est dédié, à savoir la LPM qui a valeur de loi.

O. Kempf

Commentaires

1. Le jeudi 12 janvier 2012, 19:51 par yves cadiou

Le plus récent Livre Blanc français était vu avant tout par son commanditaire comme un document de politique intérieure et c’est ce qu’il est effectivement. Alors que par deux de ses aspects il est anticonstitutionnel, il n’a pas été contesté par le monde politique à qui il incombait pourtant d’exciper de l’anticonstitutionnalité. Le fait mérite d’être souligné parce qu’on verra en 2012 si l’orientation de politique intérieure donnée par le Livre Blanc de 2008 est confirmée. Ce n’est pas seulement une question de forme juridique, c’est une véritable question de Défense Nationale : notre vulnérabilité, aggravée en 2008 par le LBDSN, le serait encore davantage si l’orientation donnée en 2008 était confirmée en 2012. Je m’explique.

Anticonstitutionnel d’abord parce que, pour la première fois dans l’histoire des Livres Blancs, il a été commandé par le Président qui usurpait ainsi une fonction gouvernementale : « le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation » (Constitution, article 20). Les précédents Livres Blancs étaient l’œuvre du Gouvernement : celui de 1972 fut rédigé par Michel Debré, ministre de la Défense Nationale ; celui de 1994 fut commandé par le Premier ministre. Le LBDSN de 2008 court-circuite carrément le Gouvernement sans que personne, notamment aucun ministre ni aucun parlementaire, ne juge bon de s’en offusquer publiquement : il signifie donc, avant même d’exister, une démission du monde politique.

Anticonstitutionnel aussi parce que, dès son titre, il fait mention d’une « sécurité nationale » qui ne se réfère à aucun texte et qui, en particulier, escamote la « défense nationale » dont le Premier ministre est responsable (Constitution, article 21).

Par suite de son anticonstitutionnalité et de la démission du monde politique qu’elle révèle, le LBDSN de 2008 aggrave la vulnérabilité de notre Pays. Le risque qu’il crée est celui d’une pagaille à la tête de l’Etat en situation de crise : soit parce que deux autorités (le Président, irresponsable, et le Premier ministre, responsable) seront en concurrence pour gérer la crise ; soit, au contraire et plus probablement, les deux autorités se défausseront. Or l’histoire nous montre que l’armée française tient aussi longtemps que le pouvoir politique tient et qu’elle cède seulement lorsque le pouvoir politique cède.

Au contraire si l’on respecte la Constitution, les règles sont claires : « le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation, il dispose de l’administration et de la force armée » (article 20) et cette situation cesse seulement « lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire (…) sont menacées d’une manière grave et immédiate » et qu’alors « le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des Présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel » (article 16). Du fait que le Président dispose du feu nucléaire, le passage sous article 16 constitue le dernier avertissement avant tir nucléaire.

On brouille le message et on affaiblit le dispositif en donnant, dès le temps normal, des pouvoirs exécutifs au Président dans le domaine de la Défense Nationale comme c’est devenu le cas depuis 2008.

En 2008 le LBDSN aura eu l’utilité de mettre en évidence une fragilité, celle du pouvoir politique, et de mettre en évidence la nécessité d’y remédier.

Par conséquent je voterai, aux Législatives de juin 2012, pour les candidats qui ne seront pas de la même couleur que le Président élu en avril ou mai, quel qu’il soit : la « cohabitation » est la solution pour remettre chacun à la place et aux responsabilités qui lui échoient par la Constitution. Avec un Législatif et un Exécutif qui ne se considèreront pas comme aux ordres du Président, l’on peut supposer que l’indispensable différentiation des pouvoirs qui ne disparaît qu’avec l’article 16 sera effective en situation normale. On renforcera ainsi la Défense Nationale.

2. Le jeudi 12 janvier 2012, 19:51 par Midship

à quoi sert le LB ? A rien. A faire des powerpoints. A alimenter le bullshit speaking. A rien, donc. CQFD.
D'ailleurs, qu'aurait changé son absence ?

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