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Le retrait américain, ou beaucoup de bruit pour rien

Leading from behind, nous a-t-on asséné au moment de la Libye. Pivot, racontait-on avant. Peut-être... mais où en est vraiment l'Amérique ? et si tout ça n'était pas, finalement, au-delà des rodomontades, un "doing nothing from behind" ? Ce serait habile, remarquez : faire croire qu'on a encore un projet, quand on n'en a plus. Mimer la puissance globale, quand on n'en peut mais. Explorons un peu ...

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Le premier mandat d'Obama avait été marqué par une ligne simple de politique extérieure : sortir d’Irak, et considérer l'AfPak comme un tout, pour agir puis sortir. Sortir d’Afghanistan fut au programme du deuxième mandat. Retrait en 2014 puisque OBL a été tué, nous y voilà. Et puis ? Et puis la prise en compte d'une "war fatigue". Appelez cela comme vous voulez : isolationnisme ou post-héroïsme ou je m'en foutisme, mais les Américains n'ont plus envie. Rien, basta, pas de néo-wilsonisme plus ou moins botté. D'autant que le blocage du système politique (Tea Party, super PACs, radicalisation du Congrès, sequester, ...) conjointement à une économie toujours languissante, malgré les shoots à haute dose d'héroïne pure financière opéré par la Fed et le one shot du gaz de schiste (ah oui : on ne parle pas trop du shale gas peak......) ont ramené l'Amérique à son besoin originel : se considérer comme une île, et tant pis pour le reste. Être préoccupé de soi-même, bien que ce ne soit guère enthousiasmant. Red neck et armes individuelles, voici quand même un centre d'intérêt primordial, non ?

La réaction du gouvernement (la vraie traduction d'Administration) ?

  • l’intensification des attaques indirectes et à bas bruit : forces spéciales, drones et cyber, come signalé lan dernier par JL Gergorin dans Commentaires.
  • aucun changement en ce qui concerne la GWOT (global war on terror), et maintien de Guantanamo, où l'on gave de force les grévistes de la faim
  • une stratégie cyber ultra agressive, qui prône non seulement des actions offensives, mais aussi l'escalade de la violence (riposte conventionnelle voire nucléaire à des cyber attaques), sans même parler des délires sur le cyber Armageddon ou cyber Pearl Harbour
  • Fabrication hystérique d'un ennemi chinois, pour reproduire un schéma bipolaire de guerre froide, qui n'a plus grand sens (le cyber et la guerre économique n'est pas le nucléaire, la Chine n'est pas l'URSS)

Beaucoup de bruit pour rien ? Probablement.

  • En fait, le pivot constitue la façon élégante de dire qu'on n'a plus les moyens d'investir/agir dans les plaques Europe, Proche- et Moyen-Orient, et Afrique. Même en indirect, puisque les dernières actions françaises (Libye ou Mali) sont des chants du cygne (et que l'action d'Africa Com n'a pas été des plus probantes au Mali, pour le moins).
  • La séquestration marque une décroissance du budget militaire. Certes, les États-Unis sont capables de décroître leur effort de défense car ils sont crédibles lorsqu'ils annoncent que cela n'est que passager (à la différence de l'Europe où les effets cliquets sont irrémédiables). Pourtant, on a cette fois l'impression qu'ils n'ont tout simplement plus les moyens. Et que leur surenchère guerrière n’est plus la solution qu'elle fut.
  • Enfin, quels que soient les discours stratégiques (air sea battle, contre déni, ...), on a le sentiment qu'eux-mêmes n'y croient plus. Qu'ils doutent de l'utilité des armes pour résoudre une "crise". Et que leur accumulation d’armement a été finalement inutile, puisqu'elle n'impressionne plus.

C'est probablement ce constat qui a mené Obama à prononcer son discours à la NDU, jeudi, portant sur le terrorisme et les drones. Je remarque au passage qu’il ne prononce pas le mot "cyber".

Tous les propos stratégiques américains ne seraient, alors, que l'expression d'un retrait américain, camouflé tant bien que mal. Toujours bruyant, impressionnant encore la cour qui n’existe que par son suivisme, mais destiné en fait à cacher le roi nu. Et qu'au bout d'un moment, même le viagra ne cache plus la réalité de l'impuissance.

J'écrivais encore récemment sur égéa que les États-Unis étaient la seule puissance à avoir encore des ambitions globales. Je n'en suis même plus si sûr.

Ce qui vient conforter mon hypothèse de balkanisation du monde, et d'un monde néo-hobbésien.

Voici le vrai tournant stratégique de 2013. Il n'a pas été suffisamment décrit dans le LB. Et bien sûr, on n'en a pas tiré les conclusions pour le monde de dans cinq ou dix ans. QUI sera plus dangereux que celui d'aujourd'hui...

Réf : on lira l'excellent dossier de ce mois dans la dernière livraison de la RDN, consacré à ce pivotement américain.

O. Kempf

Commentaires

1. Le vendredi 24 mai 2013, 20:42 par R2Mi

L'abus d'anglicisme relève quant à elle le néant née de l'absence de pensées stratégiques françaises.
Or sans pensée stratégique : au revoir l'idée même de France.

2. Le vendredi 24 mai 2013, 20:42 par Hans

Sincèrement c'est trop hâtif, trop eurocentriste et toujours avec cette dualité d'américanophilie - américanophobie à la française. C'est pas parce qu'on a enlevé quelques brigades du vieux continent que c'en est fini des USA comme puissance globale.

égéa : cher Hans, j'apprécie beaucoup ce commentaire roboratif. Vous n'êtes pas d'accord et le dites poliment, et succinctement : bravo et merci. Vous aurez certainement remarqué, au ton employé dans ce billet, qu'il s'agissait aussi d'un "coup de g...". Choses qui existent aussi sur des blogs, qui ne sont pas -heureusement- aussi sérieux que les revues académiques où l'on polit les arguments. Un blog permet de saisir l'air du temps, de risquer des idées, d'oser exprimer des intuitions. Donc oui, forcément, c'est trop hâtif.

Eurocentriste ? mais je constate un retrait non seulement d'Europe, mais aussi d'Afrique et du Moyen Orient.

Américanophilie/phobie ? C'est assez amusant, comme mes lecteurs m'accusent régulièrement de l'une ou de l'autre, et donc d'être à la fois trop pro- et trop anti-américain. Je me rassurais en me disant que la part était égale, et que donc je n'étais finalement pas tant que ça l'un ou l'autre. Me reprocher les deux d'un même coup, c'est en revanche la première fois.

Quant à la puissance globale, voici, plus sérieusement et après mes amicales saillies, le vrai sujet. Les Américains sont-ils encore une puissance globale : oui. Ont-ils l'envie,, et la possibilité de le demeurer ? Je ne crois pas. Ce qui est une vraie nouveauté stratégique, et qui aura des conséquences importantes. Le signaler, voici l'objet de ce billet. Perfectible, assurément. J'essaierai de faire mieux la prochaine fois !

Amitiés, égéa

3. Le vendredi 24 mai 2013, 20:42 par Colin l'hermet

Ni cet article, ni celui sur la religion comme fait géopol, ne pointent le messianisme eschatologique qui nourrit les perceptions d'une bonne part de la population US, et vient donc indirectement influencer la politique étrangère nord-américaine.

Le soutien à Israël répondait déjà à ce messianisme, partagé en finalités (même si opposé dans l'analyse immédiate entre un peuple qui se veut élu et un autre qui le perçoit comme devant passer par l'expiation d'un déicide).

Bref les US se retireraient du monde :

. non par isolationnisme pour se recroqueviller sur leurs blessures mais dans un intérieur bucolique emprunté aux visions du début 20eme s. ;

. mais parce que le monde les a déçus, et que l'Histoire catastrophiste viendra, en un tonitruant Jugement dernier, leur donner raison contre ceux qui les ont insuffisamment suivis, voire qui les ont clairement affrontés.

Remarquons aussi le fait que les USA se voient comme des parents soutenant à bout de bras une marmaille qui geint pour son autonomie mais peinant à s'autonomiser réellement. Un peu comme la France ou l'UE se plaignent de l'incapacité de l'Afrique à se prendre en main.

Mêmes doléances, à une échelle supérieure.

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