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Cyberespace : global common, espace lisse, ou autre chose ?

Vous connaissez tous Laurent Henninger, chercheur à l'IRSEM, historien militaire et récent auteur d'un "Comprendre la guerre" (avec L. Widemann) dont j'avais dit le plus grand bien. Grand spécialiste de la "mutation militaire" (il n'aime pas, mais alors pas du tout le concept de RAM développé par les Américains), une autre de ses intuitions visait à expliquer qu'il y avait des espaces lisses. Nous l'entendions le répéter à qui voulait l'entendre, jusqu'à ce que Jean Dufourcq le mette au pied du mur, et le force à publier un excellent papier résumant la chose (voir ici).

source

Du coup; il a réorienté son séminaire qu'il dirige à l'EHESS autour de cette thématique du fluide et du solide. Aussi, quand il a lu mon chapitre sur les Global Commons dans "Introduction à la cyberstratégie", il m'a demandé d'intervenir sur le sujet. Voici l'annonce de l'événement : rendez-vous donc jeudi prochain à l'EHESS (salle 9, 105 bd Raspail 75006 Paris).

Les stratégistes américains ont élaboré, depuis quelques mois, la théorie des Global Commons : la mer, l'air, l'espace exo-atmosphérique et le cyberespace seraient des espaces de communication, devenus des biens communs, et devraient donc être protégés. Cette théorie entraîne des propos stratégiques qui ne sont pas neutres et elle mérite d'être discutée. D'autant qu'elle fait penser à la distinction proposée autrefois par Deleuze des espaces lisses par rapport aux espaces striés. Toutes ces considérations de géo-philosophie ont des conséquences stratégiques certaines, notamment du point de vue du cyberespace. Elles font écho au projet du séminaire d'étudier la pertinence de la distinction entre espaces fluides et espaces visqueux.

Olivier Kempf, auteur d'une récente "Introduction à la cyberstratégie" (Economica, 2012), viendra en parler le 20 décembre à 17h00.

O. Kempf

Commentaires

1. Le mardi 11 décembre 2012, 21:29 par yves cadiou

Lisses ou striés, on parle de muscles. Ces adjectifs évoquent pour moi de lointains souvenirs de mes somnolences variables en cours de sciences-nat’ au lycée : les muscles lisses et les muscles striés. Voilà maintenant que des stratégistes les reprennent à leur compte. Pourquoi pas. Mais le décalage sémantique est-il innocent, je crains que non. La question est « Cyberespace : global common, espace lisse, ou autre chose ? » J’opte pour « autre chose » et j’en profiterai pour répondre ensuite à une question posée sur ce blog le 28 novembre : « comment faire pour que le cyber soit le problème du dirigeant ? »

L’illustration du présent billet évoque les vaguelettes de sable dur laissées sur la plage quand la mer se retire : pour le pou-de-mer elles forment un espace strié ou lisse selon le sens dans lequel il les prend. Ayant crapahuté autrefois sur des espaces striés, ceux du désert sub-saharien, j’y ai fait la même observation que le pou-de-mer : les dunes et ondulations du désert sont lisses ou striées selon le sens où l’on s’y déplace.

Bon, alors admettons le lisse ou strié des stratégistes. Mais les stratégistes passent ensuite de « lisse » à « fluide » ou à « visqueux », de « strié » à « rugueux ». Ce n’est pas la même chose. Pas clair, tout ça.
Parce qu’un glissement sémantique (et ici il y en a plusieurs) doit toujours susciter la méfiance chez le lecteur ou l’auditeur circonspect, je me demande où l’on cherche à nous emmener insensiblement avec ces adjectifs utilisés hors de leur acception véritable.
J’ai, bien sûr, un début de réponse quand un marin nous rappelle que la planète est à 70% « fluide », recouverte d’eau, vieil argument pour suggérer que la Marine devrait naturellement recueillir 70% du budget. C’est oublier que l’occupation humaine de la Planète est archipélagique. Le phénomène archipélagique a été brillamment mis en évidence sur ce blog : tapez « archipel » dans la case recherche ici en haut à gauche, ou voyez cette photo que j’ai trouvée grâce à égéa sous ce lien http://www.cidehom.com/apod.php?_da...
Sur la Planète, il existe beaucoup d’endroits où il est inutile de concentrer ou de disperser des moyens. Lorsque l’on titre « 70 bleu versus 30 vert » (billet du 27 novembre dernier), ce n’est pas vraiment réaliste : le 70 / 30 est trop arithmétique pour être vrai. Mais l’on a bien compris que nos camarades bleu-marine préfèrent dire « vert » tout en pensant « kaki ». Heureusement nous, les briscards du strié et de la guerre des boutons, nous voyons bien la tentative de contournement. Cette fois, elle passe par le cyber pour des motifs qui m’échappent. Une cyberguerre des boutons, peut-être.

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Vous avouerai-je (oui, je vous avoue) que je suis largué quand on parle de cyber et plus particulièrement de cyberstratégie : dans ce domaine, mes seules satisfactions sont d’avoir compris que je suis largué, de supposer que je ne suis certainement pas le seul, de me dire qu’au fond ça n’a pas d’importance parce qu’on peut bien se passer de moi dans ce débat. Mais lorsque vos réflexions vous amènent à utiliser des mots que je comprends parce qu’ils appartiennent à d’autres disciplines, comme lisse, strié, fluide, visqueux, rugueux, je me demande quelle intention se cache derrière le jargon.

Mais allons un peu plus loin : vous demandiez récemment, cher Olivier Kempf, « comment faire pour que le cyber soit le problème du dirigeant ? » (votre billet du 28 novembre). Si vous pensez au dirigeant élu politique, je peux vous donner un élément de réponse parce que j’ai un peu (beaucoup) fréquenté professionnellement ce genre de personnage : il faut que le problème concerne plus ou moins sa réélection. Pour ça il faut qu’il puisse en parler avec aisance lorsqu’on lui pose la question, de façon que l’électeur (qui en connaît moins que lui) se dise « ah, il connaît ». Par conséquent, Messieurs les cyberstratèges, soyez pédagos, tenez des discours qui soient à peu près compréhensibles pour le vulgum pékin et surtout des discours qui soient faciles à répéter par ceux dont l’essentiel du métier consiste à parler.

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