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Commander à terre, à mer, à l'air

Commander dans l’armée de terre est-il quelque chose de spécifique ? Certainement. Prenez trois jeunes qui font la même préparation scientifique pour entrer dans les écoles d’officier : ils sont les mêmes, avec les mêmes goûts et les mêmes caractères. Quinze ans plus tard, le premier ayant réussi Saint-Cyr, le deuxième Navale et le dernier l’École de l’air, vous avez trois officiers qui présentent des attitudes professionnelles profondément différentes. Leur expérience particulière du commandement les a changés. C’est donc que chaque armée a déteint sur leur personnalité. Cette comparaison succincte permettra de dégager les particularités de l’armée de terre.

source

1/ Commandement et marine nationale.

Lae marin dépend de son bâtiment. Il subit en permanence l’économie des forces et doit en permanence compter ce dont il dispose : la place, les hommes, l’autonomie.

L’espace est compté, ce qui entraîne un certain quant à soi. La promiscuité étant inévitable, chacun doit respecter le peu d’intimité de l’autre. D’où une discrétion et un silence qui surprennent au premier abord.

Le bâtiment vogue sans cesse : cela nécessite une permanence qui justifie l’organisation du travail en trois-huit pendant de longues semaines, et pour tous les postes : ainsi, le « pacha » est lui-même astreint à cette règle.

Ce « système » impose de faire confiance à l’autre, et de considérer chacun comme utile. A bord, il n’y a pas de fonctions négligeables ce qui explique que les spécialités (logistique ou transmissions ou canon) ne soient pas déterminantes pour conduire les carrières. L’équipage doit donc trouver un équilibre d’abord entre les différentes fonctions techniques (la marine nécessite des compétences techniques et scientifiques), ensuite entre les hommes. Mais cette convergence est collective et nécessitée par le navire.

Enfin, le « pacha » est seul maître à bord, selon l’expression consacrée. Il s’ensuit qu’une certaine sécheresse des rapports peut être possible.

Le chef marin commande autant un navire qu’un équipage.

2/ Commandement et armée de l’air

Un avion qui tombe en panne tombe : plus encore que le marin, l’aviateur dépend de la technique. Et alors que l’équipage marin était embarqué sur le « véhicule », il n’y a dans les avions qu’un seul « pilote », qui est à la fois le conducteur, le tireur, l’observateur, le transmetteur, et le chef de bord. Tout le reste dépend du sol et à dû être préparé « avant ».

Il s’ensuit une organisation fondée sur la concentration des efforts en vue de la mission. Celle-ci est longuement préparée tactiquement et techniquement avant son déroulement. De même, une sorte de préséance s’installe par-dessus la hiérarchie des grades : le personnel « embarqué » est considéré comme « au-dessus » du personnel à terre, les pilotes « au-dessus » des accompagnants (quand il y en a) et les chasseurs, tout d’abord parce qu’ils pilotent « seuls » leur aéronef, « au-dessus » des autres.

De même, les aviateurs ont pris l’habitude de procédures très codifiées (les check-lists) de façon à laisser le moins de part possible à l’aléa. L’approche technicienne entraîne une approche codifiée de la résolution des problèmes. L’humain n’arrive qu’en ultime ressource. Le commandement consiste alors à s’insérer dans une très grande mécanique, qui organise les opérations aériennes, fort complexes au demeurant. Le chef doit prendre des décisions lorsque des éléments déjouent la prévision.

Le chef aérien est un régulateur de l’imprévisible.

3/ Commandement et armée de terre

A la différence des autres armées, l’armée de terre n’a pas besoin de véhicule pour combattre. Ceux-ci viennent « par-dessus » le combat primaire, fait de choc et de feu. Le sol ne défaille pas, il est toujours là sous les pieds. Il constitue toutefois un milieu plus complexe et plus fractionné d’obstacles, relativement à la plus grande fluidité des milieux marins et aériens : relief, végétation, marais, coupures, routes, agglomérations composent autant de stries dans lesquelles la manœuvre va pouvoir se loger. Le milieu terrestre est plus que les autres propice à la contingence, et chacun des adversaires, l’ennemi comme l’ami, va vouloir en jouer, et exprimer ainsi sa liberté de manœuvre.

Par ailleurs, l’épure du combat terrestre est celui de l’infanterie, où « il n’est de richesses que d’hommes ». Jean Bodin, souvent cité, l’entendait d’abord d’un point de vue quantitatif : dans le combat terrestre, le nombre d’hommes fait la différence. Mais aussi son moral et sa combativité. Cela entraîne donc un commandement d’abord centré sur les relations humaines, et une certaine relativisation de la technique.

Le chef terrien doit avoir du prestige et, bardé de sa certitude et de son audace, emmener sa troupe à l’assaut au milieu du tumulte des armes. Voyez Bonaparte au pont d’Arcole : peu importe la véracité de l’anecdote, ce qui compte c’est la vérité qu’elle exprime.

Le reste, tout le reste découle de cette vérité première : le chef terrien est d’abord un entraîneur d’hommes.

O. Kempf

Commentaires

1. Le mercredi 2 janvier 2013, 21:25 par Midship

Autre différence me semble-t-il :
Le marin comme l'aéro est d'abord un flic, un civil. Aussi fana-mili qu'il puisse être, aussi respectueux des 18 saint cyriens qui l'observent peut être du haut de l'arbre généalogique, le marin et l'aviateur d'aujourd'hui ne fait pas la guerre. Il largue parfois quelques pélos sur une crise, dans le plus "intense" des cas, mais en règle générale, sa vie est faite d'actions policières, dans un milieu que les forces de l'ordre n'atteignent pas. Ces missions, initialement "passagères" des vecteurs présents dans le milieu, sont devenues principales. Sauvetage, police de l'air, des frontières, du commerce, du terrorisme, de la piraterie, des pêches, etc ... mais police quand même. Le marin embarqué ou l'aviateur embarqué ne vit pas dans la peur de se prendre une balle. Le combat naval, l'affrontement avec les sous marins, les équipages entiers envoyés par le fond à la torpille, ce n'est pas actuel sous nos latitudes.

Alors on s'y entraine, certes, à la haute intensité. Mais notre vie opérationnelle, elle, parfois pas dénuée de risques, n'y ressemble pas. C'est un autre métier, et l'on dérive...

L'armée de terre, elle, même réquisitionnable pour trimbaler de la paille ou garder les touristes dans les gares, reste concentrée fondamentalement sur la guerre. Elle ne fait pas la police chez nous, car la police (et la gendarmerie), justement, est là pour ça. Si elle fait la police, c'est ailleurs, projetée, armée, au cas où. Du coup, en métropole, sous le soleil brûlant de Mourmelon, l'AT est cantonnée à la vie de "réserve". On lui demande de rester dans son camps, de s'entrainer intra-muros, et il me semble que l'officier terrien est très marqué par cette vie "à part".

Les aviateurs, les marins, sont les militaires pour qui "loin" est un quotidien. Les terriens "vont" loin, les autres y sont déjà.

2. Le mercredi 2 janvier 2013, 21:25 par

Bonne analyse synthétique, mais qui ne va pas au bout du critère de la qualification professionnelle de ces officiers, notamment par rapport au marché de l'emploi qui en concerne une grande partie. J'ajouterais donc deux critères, pour nuancer cette classification: le "Terrien" ne peut plus seulement être un entraîneur d'hommes, il doit aussi avoir un très solide bagage technique et technologique pour maîtriser les grands systèmes complexes : numérisation du champ de bataille et combat intégré en trois dimensions - ce qui implique que Coët devienne réellement une école d'ingénieurs à l'instar de Navale et de Salon, sans retirer les sciences humaines. Cela renforcera aussi les chances du Terrien face à ses camarades devant les DRH des entreprises, qui prennent en compte la qualification technique des écoles.
Le deuxième critère, qui complète le premier, est l'aptitude de l'officier à commander en interarmées, donc à maîtriser la compréhension des quatre dimensions (Terre, Air, Mer et Espace) et du combat en 4-D. Ce deuxième critère sera de plus en plus important pour la sélection des futurs CEMA, bien plus que le très suranné "tour de bête" - pardon pour le tabou !
Merci en tous cas Olivier, cette analyse est utile, j'aimerais avoir maintenant les commentaires de marins d'aviateurs...

3. Le mercredi 2 janvier 2013, 21:25 par yves cadiou

La différence n’est pas Terre Mer Air (en commençant ainsi, je ne rejette pas d’emblée la possibilité d’une différence mais au fond je n’en suis pas sûr), ni même kaki ou bleu (qui pourrait être aussi une différence lettreux-matheux). La différence est mêlée / appui / soutien.

Comme le dit Midship (n°1) et comme on l’a déjà dit sur ce blog, il y a d’une part les combattants qui voient ce qu’ils font : ceux de la mêlée qui savent ce que c’est que de voir tomber le pauvre bougre d’en face transpercé par une traçante ou d’enjamber pendant l’assaut les cadavres ennemis déchiquetés par la préparation d’artillerie. Et il y a d’autre part ceux qui ne voient pas ce qu’ils font (artilleurs, aviateurs et marins embarqués) ainsi que ceux qui peuvent s’imaginer qu’ils n’ont tué personne (le soutien qui a fourni les munitions). Cette différence existe au sein des trois armées : les fusiliers marins et commandos de l’air sont dans la mêlée, les tringlots sont dans le soutien.

Toutefois, ce n’est encore pas si simple : il arrive que des soutiens se trouvent dans la mêlée. Ce n’est pas nouveau : déjà en 1863 le fait d’armes de Camerone, devenu fête de la Légion, pourrait être la fête des stratifs. Pour les trois officiers de Camerone, comme pour l’ensemble du petit détachement qui a résisté à l’armée ennemie rencontrée par hasard, la mission était une liaison riz-pain-sel. Le Capitaine Danjou, qui commandait le détachement, était amputé d’une main, inapte au combat et recasé dans les services administratifs. Du moins il était devenu inapte physique au combat mais pas inapte moral. Bel exemple pour les stratifs qui peuvent à tout moment affronter l'ennemi sans avoir prévu cette circonstance.

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PS @Midschip : bien vu les 18 Saint-Cyriens perchés dans l’arbre généalogique.

4. Le mercredi 2 janvier 2013, 21:25 par Bertrand Quiminal

Un grand merci.
L'annonce d'une belle année pour notre communauté!
Parce que, oui, les contingences de chacun, dans son environnement, produisent de l'influence.
D'où de l'auto-centrage.
D'où ensuite, nécessité et volonté de décloisonner; ou pas.
Si l'engagement du FT17 et son utilité tactico-humaine ont jouer un rôle dans l'évolution des combats durant la "Grande Guerre", alors pourquoi se sont étendues plusieurs dizaines d'années entre l'apparition du canon en tourelle largement pivotante sur navire d'une part, et celle du canon de 37mm en tourelle 360° sur un non-cuirassé terrestre d'autre part?

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