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Surprise stratégique : dialogue avec C Brustlein

Corentin Brustlein, qui a été cité par un commentaire suite à un précédent billet sur la notion de surprise stratégique, nous fait le plaisir de répondre : je trouve que ça mérite un post en soi. J'y joins ma réponse car je trouve que le débat est loin d'être clos.

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Merci à lui

O. Kempf

Bonjour à tous,

J'interviens tardivement sur ce post et je m'en excuse, j'ai un peu de mal à tenir le rythme des événements et des commentaires qui en sont faits ici ou là.

Je suis ravi de voir que mon papier est lu, parfois apprécié, et qu'il suscite un peu de discussion.

Sur la définition du concept de surprise stratégique, je suis tout à fait d'accord avec toi Olivier: ma définition n'est pas LA définition de la surprise stratégique et ne prétend pas l'être. Elle n'a, en tant que telle, pas plus de légitimité que celle des autres. Le terme de "surprise" fait évidemment peu débat; le véritable débat porte sur le sens que l'on donne au terme "stratégique". On peut l'entendre au sens le plus général du terme (quelque chose d'important, peu importe le domaine), on peut l'entendre dans un sens un peu plus restreint (le niveau stratégique de l'action), etc. Les déclinaisons sont nombreuses.

Mon choix (et c'est bien cela: un choix) a été d'entendre "stratégique" dans un sens dérivé de la définition de la stratégie du général Beaufre - à mon avis la meilleure définition de la stratégie que l'on puisse trouver ("L'art de la dialectique des volontés employant la force pour résoudre leur conflit").

Il me semblait important de distinguer la classe d'événements qui procèdent d'une intention clairement hostile de la catégorie regroupant les événements n'impliquant pas la présence d'un adversaire. J'ai fait ce choix car si l'on accepte un sens plus large du terme, le concept risque de perdre en cohérence, devient plus difficile à analyser, et l'évaluation de ses implications devient quasi impossible.

Selon moi (mais je suis loin de pouvoir me prévaloir la seule paternité de cette position), la différence entre la présence ou non de l'intention hostile change tout. Peut-on placer sur un même niveau la lutte contre les conséquences d'un accident industriel de portée majeure et le rétablissement face à une attaque imprévue de l'adversaire ? Dans certains aspects organisationnels et techniques, sans doute, mais la nature du problème reste fondamentalement différente. Par nature, la présence de l'adversaire change tout.

J'en profite donc pour réagir à ce qu'écrit oodbae: la lutte de l'homme contre l'environnement, pourquoi pas, mais l'environnement n'a pas de conscience et ne cherche pas à soumettre l'homme. Cela peut paraître banal de le rappeler et je m'en excuse si ça l'est. Je crois que Luttwak disait ainsi que lorsqu'on veut dresser un pont par dessus une rivière, la rivière ne va pas sortir de son lit pour nous empêcher de le faire, ou accroître son débit pour bloquer les travaux en cours. S'il n'y a pas d'adversaire, on peut rester dans une logique d'optimisation des actions, et s'appuyer sur des routines et procédures standardisées (avec plus ou moins d'efficacité, certes, selon la complexité des domaines). Mais quand on entre dans le cadre de la guerre l'optimisation n'est plus au coeur de l'action, et ne doit plus l'être, parce fonder son action sur l'optimisation, c'est être prévisible, et donc prêter le flanc à un contournement/une préemption, etc. Il faut donc s'adapter, être réactif, faire preuve d'ingéniosité, et toujours garder à l'esprit les plans et objectifs de l'adversaire.

Voilà donc la raison pour laquelle j'ai cru bon de définir la surprise stratégique de cette manière dans le cadre de mon papier. Mais encore une fois, ce n'est que ma façon de voir les choses - et qu'une tentative parmi d'autres de faire avancer un peu le débat sur ce sujet...

Au plaisir de vous lire,

Corentin Brustlein

égéa :

Effetivement, Corentin, il n'y avait pas de critique du choix effectué, d'autant qu'il était clairement exposé. Revenir à Beauffre, certes : cela renvoie au duel des volontés clausewitzien. Touteofis, il s'agit là d'une dimension active de la stratégie. Occidentale, pourait-on même dire. Mais s'il ne s'agit que d'action des stratèges, la surprise se réduit à un "coup" dans une règle de jeu déterminée. Elle est "dans le cadre de ". A l'intérieur d'une grammaire qui serait partagée par les acteurs.

Or, une surprise peut-être stratégique dans la mesure où elle modifie les conditions de la décision startégique. Ce peut être la nature (cas présent). Ce peut être aussi l'innovation technologique, comme le rappelle Gallois dans son ouvrage sur la géopolitique : l'espace change d'utilité à cause de la technologie, et la possibilité d'ICBM lancés par des sous marins à partie de dessous le pôle Nord affecte, clairement, les décisions stratégiques des uns et des autres. Je crois qu'il y a là, peut-être, le soubassement de la notion de RAM (d'ailleurs, Laurent Henninger vient nous en parler jeudi soir,ce sera l'occasion de lui demander).

Enfin, j'aime bien les knowns unknowns de Rumsfeld rappelé par JP Gambotti. Je trouve ça très éclairant, ce côté obscur de la force......

O. Kempf

Commentaires

1. Le mardi 22 mars 2011, 13:03 par Midship

Et c'est en cela qu'il faut aussi considérer la notion de surprise. A la lumière du commentaire d'Egéa, on peut se dire que lorsque les conditions (la structure) stratégique demeure, mais est ajustée par le décideur, le concepteur, au regard d'une plus grande finesse ou pour corriger ce qui est perçu comme une erreur, on peut parler d'une évolution stratégique ; quand au contraire le cadre même change, les conditions dans lesquelles évolue notre stratégie se trouvent bouleversées par surprise, et il s'agit alors d'une rupture.

Dans les cas actuels : Libye, Egypte/Tunisie, Japon, j'ai l'impression qu'il s'agit bien de surprise (la RCI n'en est pas une, ou, alors, il est juste surprenant que ça ne se passe "pas si mal" pour certains cyniques), mais pas de surprise stratégique, les choses n'ayant pas [encore ?] d'influence sur notre stratégie. A peine sur notre tactique (la tactique de communication sur l'énergie nucléaire par exemple, ou la révision de la sécurité des centrales, mais ça ne remet pas en question le choix énergétique national). Mais bien sûr il faut prendre mon point de vue dans le sens du "on abuse du mot 'stratégique' ".

2. Le mardi 22 mars 2011, 13:03 par

Merci Olivier, c'est très sympa de ta part. Me voilà bien ennuyé, car je pars demain en voyage pour 10 jours et je doute de pouvoir répondre aux éventuels commentaires - je le fais donc pendant que je le peux, et le referai au pire à mon retour.

Pour te répondre donc: je crois que la surprise technologique est en tant que telle une catégorie à part. Elle renferme à la fois des surprises limitées aux plus bas niveaux de la guerre, et d'autres prenant une portée stratégique, comme Spoutnik. A propos de la RAM, elle n'est pas purement technologique, donc j'aurais du mal à la mettre au même niveau que l'ICBM. Toute innovation technologique n'est pas surprenante, d'ailleurs. Pour Spoutnik, ce n'est pas le fait que la technologie pour faire des ICBMs existe, mais qu'elle soit maîtrisée par les Soviétiques. Mais ce qui est vrai, c'est que les premières manifestations concrètes et à grande échelle de le RAM, en l'occurrence au cours de la guerre du Golfe, ont été je pense une véritable surprise stratégique pour tous les Etats observant les opérations. Cf. les leçons tirées par les Chinois, Russes, Iraniens, etc., et les réorientations de posture qui les ont accompagnées.

Et oui, les known & unknown de Rumsfeld, dont je parlais d'ailleurs il y a peu sur Ultima Ratio (ici: http://ultimaratio-blog.org/fr/arch... ) sont des concepts assez stimulants.

Le commentaire de Midship, sur les révolutions/révoltes de la Tunisie à l'Egypte, soulève (notamment) un point très pertinent pour essayer de cadrer le concept. Certes, la diplomatie n'a pas prévu ce qui allait se passer (ou en tous cas pas de manière claire, ou ça n'a pas été répercuté au niveau de l'Elysée, etc.), et ces événements entraînent tout de même une certaine évolution de notre posture - nous sommes tout de même en train d'intervenir en Libye... Cela vaudrait donc peut-être la peine de mieux définir ce qu'on entend par "posture" stratégique / diplomatique / militaire, etc. L'idée que j'avais à l'origine c'était de se limiter aux changements majeurs dans les priorités de la politique de sécurité et de la façon d'envisager l'emploi de la force. La Libye, donc, ça ne serait pas le cas à proprement parler.

Cela m'amène à une mise en garde, qui m'est destinée au moins autant qu'à vous. Il est clair que l'entreprise de définition est stimulante et utile aussi longtemps qu'elle ne devient pas un exercice visant à multiplier les concepts différents, comme si l'on créait une nouvelle notion pour chaque événement militaire un tant soit peu intéressant, mais pas tout à fait semblable aux autres. Sachons se poser les questions, et aussi cesser de se torturer passé un certain stade (et je ne dis pas ça pour que la discussion s'arrête ici pendant que je ne suis pas en mesure d'y participer...). Les concepts peuvent être de bonnes aides à la compréhension, inutile donc à mon avis d'échafauder des constructions théoriques trop élaborées - mais encore une fois l'avertissement m'est surtout destiné, je l'avoue.

A bientôt!

C.

3. Le mardi 22 mars 2011, 13:03 par Midship

entièrement d'accord avec votre avertissement ... que bien entendu, nous oublierons tous d'appliquer immédiatement, esprits torturés et passionnés que nous sommes !

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