Cet après-midi, l'orateur a dit : "S'agissant de la responsabilité des parents, on n’offre pas n’importe quoi à Noël". Pour nous qui l'écoutions, ce ne fut pas un cadeau. Et ce fut n'importe quoi. Récapitulons.
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On a appris il y a quelques semaines que l'IHEDN ouvrait une chaire de "cyberstratégie", en partenariat avec la fondation EADS. Et qu'elle était confiée à M. François Géré. La leçon inaugurale a eu lieu cet après-midi, à l'amphi Foch à l'école militaire. Il était plein (600 places) tout d'abord parce qu'on avait tassé l’École de guerre en haut de l'amphi, dans le poulailler, puis l'actuelle session de l'IHEDN, enfin tout le réseau des anciens auditeurs. Pas un geek, pas un gars de moins de 25 ans, pas un chevelu. ça sentait presque la naphtaline.
Je m'étais déjà étonné des premiers propos de François Géré sur le sujet, il y a quelques semaines : à l'époque, circonstances atténuantes, il remplaçait au pied levé l'intervenant prévu, et son intervention moyenne pouvait être due à cela. Aujourd’hui, devant le parterre, on était en droit d'espérer mieux du premier titulaire.
Las ! je serai EADS, je regretterais d'avoir investi là-dedans. Déjà que les industriels ne sont pas à l'aise avec le débat stratégique, déjà qu'ils s'intéressent peu à la recherche stratégique fondamentale, ce n'est pas ce qu'ils ont entendu cet après-midi qui va les inciter à revenir.
Car on nous a infligé un truc sans queue ni tête, ne définissant pas le sujet, sans aucune considération stratégique, tombant bien sûr dans le parallèle de la dissuasion, n'évoquant même pas la problématique cybersécurité vs cyberdéfense (je ne dis même pas donner une définition : juste dire qu'il y a une difficulté sémantique, juste ça), bourré de bons sentiments, mêlant le sociétal, la sécurité des entreprises et des citoyens, posant comme principe "qui va de soi" la nécessaire coopération entre les États, confondant Internet avec le cyberespace, estimant que la seule solution est d'assurer la SSI (sécurité des systèmes d'information) et qu'il faut écouter les responsables SSI, prononçant tous les mots chics qu'il faut (paradigme, global, obsolescence, polysémique ...), expliquant benoitement que la question de l'attribution des attaques est un problème presque mineur, pour expliquer également que "la sécurité absolue n'existe pas" (voilà qui est une nouveauté conceptuelle absolue, pour le coup!) et nous infligeant quelques formules bien senties comme : "le cyberespace n'est pas une nouveauté", "L’ANSSI pourrait avoir l’équivalent de l’institut de protection et sureté nucléaire. Alors, on aura fait beaucoup", "Il faut développer des outils pour surmonter le problème", "Le domaine sociétal, il est partout ", "C’est aux familles de prendre en compte des enjeux ", ...
La consternation a été unanime : je passe sur les discrets éclats de rire des stagiaires de l'école de guerre : ils sont naturellement un peu potaches, mais ils ont l'esprit bien fait et savent se tenir si nécessaire même un vendredi après-midi. Là, ce n'était pas nécessaire. Mais entre les quelques spécialistes (soit de stratégie, soit de cyber) et le public généraliste qui était là, l'unanimité était de mise pour juger le brouet indigent.
Le directeur de l'IHEDN a annoncé la création de deux autres chaires : « géopolitique mondiale » et « industrie d’armement et économie de défense ». J'espère qu'on sélectionnera mieux les titulaires : dites, Monsieur EADS, dites, Monsieur IHEDN, et si vous aviez l'audace de prendre un jeune chercheur un peu confirmé, un gars de 28 ou 30 ans (donc pas mon cas, je le précise tout de suite) qui se défoncerait pour vous pendant trois ans ? et si vous osiez choisir l'impertinence ? Elle serait certainement plus pertinente que ce qui nous a été servi ce jour.
Heureusement, il existe d'autres endroits où l'on va (bientôt) discuter sérieusement de cyberstratégie : je préviens qu'il y a du surbooking, et qu’en plus le nouveau système de contrôle à l'entrée de l'école militaire est "compliqué", occasionnant le matin des queues de 30 mètres : prévoyez des délais si vous voulez des places assises.... A mardi. Sinon, pour rire, vous pouvez lire le compte-rendu ci-dessous.
O. Kempf